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Maratouristes/ Dreux

samedi 17 mars 2018

Le superbe compte-rendu de Baptiste Chassagne, vainqueur du Trail des Cabornis

TANGUY AU TRAIL DES CABORNIS 👨‍👩‍👧🍩
La Madre, la veille au soir : « T’as bien mangé ton pain d’épices ? Tu sais, c’est la première fois que tu t’aventures sur un parcours aussi long, tu vas avoir besoin de forces ». L’instinct maternel il parait. 
Le Padre, quelques minutes plus tard : « Tu as bien analysé le profil de la course ? Tu sais, c’est la première fois que tu t’aventures sur un parcours aussi long, tu vas devoir gérer ton effort ». L’instinct paternel il parait.
Du coup, je m’exécute. Pâtisserie dans la main gauche, téléphone dans la main droite, à la recherche de ce qui m’attend demain : 40 km, 1700 m de dénivelé positif, une belle bosse pour commencer, une autre pour nous achever, et entre les deux, les montagnes russes façon Monts D’Or.
Dimanche, sur la ligne de départ, la sérénité et l’insouciance m’ont quitté. Fait chier, j’aurais dû manger plus de pain d’épices et mieux analyser le parcours. Cette course est une Classique de la région, j’ai checké le palmarès, pour sûr, il y a des costauds qui se cachent dans le peloton. Je flippe. Puis je me rappelle les mots de La Madre : « Fais-toi plaisir ». Il fait beau, il ne fait pas trop froid, je m’apprête à faire ce que j’aime le plus, courir dans la nature : il y a pire.

Baptiste avec ses parents après la course
(Photo Trail des Cabornis)
Je pars très prudemment, conscient que si je tâche de suivre le tempo imposé par les participants du 23km je risque de le payer ensuite. Première difficulté. Je monte à mon rythme, sans aucun repère quant à ma position, perdu entre les fibres rapides du 23 et les fibres lentes du 40. Dans le flou. Jusqu’à croiser une première fois mon vrai repère, celui qui jamais ne fait défaut, Le Padre : « 3ème, à 45 secondes de la tête ». Génial ! Enfin je sais ce qu’il en est, enfin je vais pouvoir produire mon effort, enfin je vais pouvoir batailler. Le chasseur plutôt que le chassé.
1h30 de course. Nous arrivons à mi-parcours. Le moment de conclure le premier chapitre et d’ouvrir le deuxième par une longue descente boueuse qui nous fait glisser jusqu’à la Saône. Les encouragements des bénévoles compensent le slogan que je m’inflige en boucle « Et ouais mon pote, il va falloir tout remonter ensuite ». Pourtant l’ascension raide qui suit me confirme qu’aujourd’hui, les cannes ont du sucre. J’ai du jus. Manque plus que le rhum et au prochain ravitaillement je sirote un Ti’Punch. J'accélère la cadence, allonge la foulée, m'applique sur chaque relance, mais rien n'y fait, impossible de revenir sur la tête de course. La modestie m'assène un coup de massue quand l'humilité assure le retour de bâton : je me suis vu trop beau. 
À douter, je suis pourtant moins attentif aux kilomètres. Déjà le 30ème. Toujours pas de coureur à l’horizon mais c’est bien mon repère, celui qui jamais ne fait défaut, que j'aperçois. Le Padre : "Tu es premier, tu as pas mal d'avance, les autres ont emprunté un mauvais chemin". Surpris, frustré de ne pas avoir combattu, je m'énerve : "Qu'est-ce que tu me racontes? Tu m'as dit que j'étais troisième!" La seconde d'après, je regrette ces paroles. « Putain le Padre, il bosse toute la semaine, il se lève le dimanche matin à 7h pour t'encourager, il te voit passer même pas 2 fois 30 secondes, et toi, toi tu l'envoies bouler… tu veux finir déshérité ou quoi? ». Honteux de mon ingratitude, je me venge sur les quadriceps. Il faut que je cours vite, il faut que je cours loin de cette réaction, il faut que je le rende fier. 
36ème km, l'ultime montée. À défaut d'avoir pu croiser le fer avec les autres costauds, je décide de guerroyer avec le chrono. C’est ça aussi le trail : ne pas se perdre, rester alerte quand les jambes tirent la sonnette d’alarme, conserver une once de lucidité même lorsque tu pénètres dans une obscure zone d’inconfort. Pour ce dernier round, sur le ring, ce sera donc moi contre la barre des 3h. Pourtant, au 39ème km, c’est La Madre qui porte l’uppercut final. Un encouragement dont elle seule a le secret : « Allez mon Titou !!! ». « Putain, heureusement que c’est un Trail et pas le marathon de Paris. » T’imagines la honte sinon à l’écoute de ce surnom qui m’accompagne depuis cette époque où j’étais une petite boule plus large que haute… 
La barre des 3h est vaincue. 2h59. Un goût indescriptible, nouveau. Je passe seul la ligne d’arrivée mais la victoire est collective. Un travail d’équipe. La Madre, Le Padre, le pain d’épices et moi. En fait, j’ai gambadé loin de la maison dès 18 ans, mais je resterai toujours un Tanguy. Au Trail des Cabornis... ou ailleurs.

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