Merci à Christophe, membre du club Chartres Vertical, de nous avoir envoyé le récit de sa victoire au TGC, un trail organisé fin août à Pralognan-la-Vanoise.
arrivée hawaïenne pour Christophe, vainqueur du TGC |
Tour de la Grande Casse
Objectif de l’année : 65 km, 3850 m+. J’ai validé l’inscription dès janvier (de peur de n’avoir pas de place). Sur internet, les paysages et les difficultés m’ont plu d’emblée. Oui, mais ça donne quoi en vrai ?
Depuis un an, j’allonge progressivement les distances : 20, 30, puis 40 km (65 km ? Ça va-t-y passer ? Dans quel état ? ...).
En juillet, je reconnais le parcours en passant les vacances avec la p’tite famille à Champagny-en-Vanoise. Nous avons marché deux jours pour effectuer intégralement le circuit qui tourne autour du sommet principal du parc de la Vanoise (3855 m).
J’ai pu établir quelques points de comparaison (via Strava sur internet) et faire des estimations sur les temps de passage. Plus les vacances avançaient, plus je devenais optimiste, au point de viser un 8 h 30, voire un 8 h 20… Pour le classement, pas d’objectif ! (sais pas qui sera présent le jour de la course, peux pas influer).
Veille de la course
Les plans sur la comète, tout ça, c’est bien joli, mais c’était sans compter sur un imprévu de taille : la météo. Arrivé samedi, j’apprends que le sens du parcours est inversé. Des orages annoncés en fin d’après-midi obligent les organisateurs à ce revirement pour permettre d’évacuer les participants dans de meilleures conditions (pfff… tous mes petits calculs pour rien. J’en suis tout retourné). Qui plus est, la difficulté principale se retrouve non plus au début du parcours, mais à la fin. Ce col de Leschaux, 1100 m+, grimpé déjà deux fois sous la chaleur de juillet, je vais devoir une fois de plus effectuer son ascension cuit de chez cuit.
Briefing de course à 18 h, puis on s’installe dans notre petit appart à 200 m du départ. Connexion internet, je fais le point. Je respire… en fait, c’est plutôt bien, je vais voir le parcours différemment, le premier col est moins difficile, au final c’est toujours 3850 m+ dans un sens ou dans l’autre. Temps de passage aux oubliettes, je vais pouvoir vivre cette course plus relâché. Que du bonheur !
Repas du soir : avocat, pâtes semi-complètes, jambon, banane et hop, je mets la viande dans le torchon vers 22 h 30.
Réveil à 3 h 15 : thé et p’tit gâteau sport concocté par mes soins (en respectant la législation en vigueur de la lutte contre le dopage), je me recouche pour une petite heure.
Cette fois-ci, le réveil ne sonne pas, je suis debout. Malgré mes précautions, je réveille ma fille qui pense que la nuit est finie. Zut, flûte… Je choisis de prendre une lampe frontale de lecture toute légère. La nuit va vite dégager et mes petits camarades vont m’éclairer avec leurs grosses et lourdes lampes (une ruse de sioux).
Dans les descentes, je prévois de mettre mes bâtons dans mon sac à dos, les bidons dans les poches de devant. La veste – avec dans la p’tite poche, gilet, portable et sifflet – est coincée dans le filet du sac.
4 h 53 : direction la ligne d’arrivée. Je pointe, la machine me calcule. Je fais le tour des barrières pour me placer dans les premières places (« ah le prétentieux celui-là »). Certains visages sont très tendus, ça me refroidit, j’ai hâte de partir, il fait un p’tit 12°C, pas de pluie, les conditions sont idéales.
lac des Vaches au col de la Vanoise (photo prise lors de la reco) |
5 h : départ
Le départ est donné pile à l’heure, deux bénévoles nous ouvrent la voie aux fumigènes (c’est beau, mais pouah…). Première difficulté : le col de la Vanoise (1100 m+, avalée en 1 h 09). C’est mon premier départ dans la nuit. Je me retourne, la farandole des frontales lancée à nos trousses est un moment magique. 175 petites lucioles zèbrent la montagne. Au bout de 10’, mon imperméable tombe, je décide de le remettre dans la grosse poche de mon sac et je renonce à y placer mes bâtons. Je devrai les porter toute la course (pas au point le cricri…). Dans l’opération, je glisse de la 2e à la 8e place. Je remonte progressivement en m’appuyant sur mes camarades, certains respirent déjà très fort (diantre, que diable allaient-ils faire… ?). Je suis encore à l’économie, mais, sensation bizarre, j’ai l’impression d’être dans un mauvais jour… Une perception qui se dissipe lorsqu’apparaît le deuxième que je rejoins dans les cents derniers mètres de l’ascension. Plus loin, nous voyons voltiger le premier de pierre en pierre avec son imperméable et ses bandes réfléchissantes. Nous avons une minute de retard.
Toujours avec le deuxième, nous zappons le premier ravito au refuge du col de la Vanoise : il faut faire un petit détour et les bidons sont encore bien remplis. 2500 m, il fait frisquette, peut-être 5°C, une pluie glacée nous accueille à l’aurore, presque de la neige formée, qui nous oblige mutuellement à sortir nos imperméables de nos sacs. L’entente avec Rémi est parfaite.
Nous traversons une zone très minérale, des bras de rivières, un passage avec des dizaines de cairns entassés semblant sortir du fond des âges, puis nous descendons dans le vallon de Leisse. Un bénévole nous annonce 3’ de retard sur le premier. Le bougre, il est fort, très fort. La course est pliée.
Je sympathise bien avec Rémi, un jurassien. Son allure me convient, je le laisse entamer la longue montée en faux plat vers le col de Leisse. Nous courrons jusqu’au refuge et au deuxième ravito, les écarts avec nos poursuivants se creusent. Derrière, nous ne distinguons plus que deux silhouettes grises sur la roche entourées de quelques herbes rases et de montagnes encore inquiétantes. La pluie s’est arrêtée, le jour s’est levé, un bénévole nous demande si nous avons besoin de quelque chose, « de soleil » je lui souris.
A l’approche du sommet, nous marchons sur des zones assez plates. Rémi avance moins vite. Je décide de rester derrière lui, toujours à l’économie. J’en profite pour avaler une barre salée Mulebar aux épices (pas d’actions…), goût très particulier mais qui compense bien le goût sucré des boissons. Je remets mon imperméable dans mon sac et je double Rémi qui ralentit : il cherche quelque chose dans son sac. Je prends quelques mètres d’avance au sommet du col, point culminant du parcours (2750 m), je me retourne (Mais que fait-il ?). J’attends, je fais un p’tit pipi pour la forme… trois gouttes. De loin, le visage de Rémi est moins serein (je vais apprendre plus tard que son genou l’a lâché, problème au niveau du TFL*). La descente est là, je me décide, je me jette… direction Tignes-Val Claret et le troisième ravito placé sur un court de tennis où, cette fois-ci, je prends le temps de m’arrêter, tout mon temps…
Val Claret
Les bénévoles veulent remplir mes gourdes, « on fait ça pour les premiers », (ouah !). De mon côté, je tente d’ouvrir un sachet de poudre énergétique. Impossible, j’ai les mains engourdies à force d’agripper les bâtons. Après plusieurs tentatives, je donne finalement les sachets aux deux gentils bénévoles qui veulent m’aider. Je suis gêné : « je dois travailler mes ravitos ». Après un arrêt de 4’, je repars. On m’annonce le premier à 10’. Je fais tomber un bidon (« c’est quoi ce rigolo qui est 2e ? ») et j’attaque enfin la montée assez raide de 550 m+ qui me conduit au col du Palet. 1’ après, j’entends les bénévoles applaudir le 3e concurrent (bigre, forcément, mon avance a fondu avec cet arrêt d’escargot lymphatique). Ça me plait moyennement. J’intensifie l’effort, je commence à sentir la sueur dégouliner, mon souffle plus court.
descente du col du Palet |
Le col du Palet (2650 m) est atteint vers 9 h (31e km). Une grande descente de 15 kilomètres m’attend, d’abord raide, puis roulante et franchement très roulante. Le soleil perce de temps en temps les nuages. Tous les voyants sont au vert. Les promeneurs m’encouragent, je fais un kilomètre en-dessous des 4’, vraiment je ne peux pas faire autrement… Ça glisse tout seul.
Le Laisonnay
Le temps défile, déjà 4 h 50 de course. J’arrive au ravitaillement du Laisonnay où deux infos me réconfortent. La première : je suis arrivé 10’ avant les estimations des organisateurs. La deuxième : je n’ai plus qu’un retard de 5’ sur le premier (je ne le sais pas, mais je creuse aussi l’écart sur le troisièmedésormais à 15’). Sur le moment, je n’y prête pas attention. Je grignote un « tuc », plaisante avec les bénévoles sur les bananes parfaitement coupées en rondelle de 3 cm, et je m’élance pour 5 km de « presque plat ». L’endroit est magnifique, une vallée verdoyante avec cascades et vue sur les grands glaciers (comme celui de la Grande Motte).
cascade du Laisonnay |
Au petit hameau de Champagny-le-Haut, un bénévole m'annonce un retard de 3'. Je commence à cogiter (qu'est-ce que je fais là ? Je rattrape le premier, est-ce lui qui "coincé" ?). J'en oublie un peu la fatigue qui s'installe sérieusement (mon cerveau découvre pour la première fois un effort de plus de 5 h; mes jambes celui d'une sortie de + de 45 km). Près d'un petit pont surplombant un torrent, un chien me ramène soudain à la réalité. Il tente de me mordre les miches ! Juché sur son cheval, son propriétaire le rappelle à ses sabots. Pas de bobo, on continue. L'aventure peut s'arrêter à tout moment...
La première difficulté qui me conduit vers le col de Leschaux est un « tas de fumier » de 500 m+, assez raide serpentant dans une forêt dense. Le rendement n’est plus du tout pareil. Je me force à relancer sur les portions plus plates pour déplier les jambes. Je dépasse plusieurs randonneurs (ce qui me rassure un p’tit peu). Puis, provenant d’un peu plus haut, j’entends un cliquetis de bâtons contre la roche. De nouveau une descente très cassante. Toujours personne. Rien à l’horizon. Puis le chemin traverse une nouvelle forêt parsemée de gros rochers enrobés de mousse, quand, perché légèrement en hauteur, je l’aperçois, magnifique dans sa tenue Tecnica, ça y est, le premier ! Trois heures de course en solitaire, je renoue avec le genre humain-porte-bidon.
Col de Leschaux
Le contact s’opère juste avant le dernier ravitaillement, plan Fournier (km 49). Tout est presque encore emballé. Les bénévoles s'activent, remplissent nos gourdes. Je fais la connaissance de Seb. Grand blagueur, le Tignard de 36 ans fait mine de repartir avec un gros morceau de Beaufort. C’est la récréation. J’en oublie le ravito… 2’ d’arrêt, puis nous nous lançons dans les derniers 800 m+. On papote : Seb est moniteur de VTT, féru de ski d’alpinisme, a réalisé cette année le Grand raid 73… Il pense que je suis prof de musique ?!
Quelques faux plats montant plus tard, Seb me pousse à partir, « va décrocher la timbale ». J’hésite… La dernière montée s’accentue franchement. Je prends progressivement de l’avance… mais mes forces s’échouent contre la paroi, le col n’en finit plus, j’ai envie de dormir, une sorte de voile sur les yeux, froid… Je me demande si je ne vais pas m’évanouir. Je refais le point. Quelle tête de piaf, je n’ai rien mangé depuis 3 h ! Je gobe le seul gel que j’ai hésité à prendre avec moi ce matin, la dernière barre de céréale salée Mulebare aux épices (« nous fait ch… avec ses barres celui-là »). C’est le gros coup de mou, mais le moral tient, la descente arrive.
Ça monte sévère sur la partie aérienne. Péniblement, j’atteins un reposoir. Un couple de spectateurs va très gentiment m’encourager. Je vais rester 2’ avec eux, le temps de boire, de reprendre mes esprits. Bizarre… Seb n’est toujours pas là. Encore 50 m de montée, je redescends dans une partie très technique tapissée d’immenses cailloux. Deux bénévoles nous guident dans le joyeux chaos. Le col est juste là… bientôt la descente, presque plus d’effort…
Au final
Un replat et hop, Seb me dépasse, la bête a repris du poil. L’allure a vraiment changé. Oups, je me cale derrière lui (presque soulagé, c'est une motivation supplémentaire pour avancer). Les derniers 100 m d’ascension se font à toute allure sous le regard vigilant de deux CRS chargés de notre sécurité. Seb est euphorique. Je suis, mes jambes sont de retour ! Enfin, le sommet. Nous redescendons sur un petit sentier à découvert assez raide et technique. On papote de nouveau, puis je regarde ma montre, je pense à ma p’tite famille qui m’attend pour manger. J’ai même la « gigitte**». A 6 km de l’arrivée, je demande à Seb (presque à regret) la permission de passer. Trois lacets plus loin, je me retourne - j’en ai un d’avance (oh!) - Seb me lance un gentil : « vas-y-casse-toi ! ». Rires. Je rattrape la forêt.
tour du village |
Pralo, la ligne d’arrivée est juste-là, plus que 100 m. Curieux, des flèches au sol m’indiquent une autre direction ?! Un organisateur court à mes côtés : je dois faire le tour du « pâté de village » pour rejoindre l’avenue principale (et retrouver ainsi le bon sens du parcours). Pfff... (800 m de plaisir en plus, c’est ce qu’il faut s’dire !). Sur la dernière ligne droite, je rejoins des « Sauvageons » partis de Tignes à 10 h sur la « Sauvage » (28 km, 1100 m+). Je me fais doubler, j’ai envie d’accélérer, mais c’est déjà pas mal cricri ce que t’as fait aujourd’hui, hein ? On s’détend, on profite, on salue les nombreux spectateurs.
podium avec Seb |
Premier en 8 h 10, 8’ d’avance sur Seb, 25’ sur le troisième, Chris (un gallois qui prendra un avion juste après la course et ne sera pas avec nous sur le podium). L’objectif est dépassé avec, cherry on the cake, une première première place. Surtout, je me réjouis de voir la p’tite famille se réjouir. Les organisateurs ont d’ailleurs pensé à elle : je gagne un week-end complet en pension complète dans un club vacances, destination de notre choix ! Ça justifierait presque mes absences pour m’entrainer ;-). Par contre, moins sympa pour la famille de Seb. 2e, il remporte une inscription gratuite pour un autre trail… (bon finalement, valait mieux terminer premier).
Bilan : un parcours magnifique, une organisation au top (balisage parfait malgré le soudain changement de sens dû aux conditions météo) et des bénévoles nombreux et souriants qui nous ont concocté des ravitos aux petits oignons (soupe et beaufort, s’il vous plait !). Vraiment une chouette découverte de la Vanoise.
Sur le podium, je reçois aussi un joli compliment de la part de Seb : « T’es pas monchus*** ». Pour un Eurélien, ouah, la grande classe ;-).
Sur le podium, je reçois aussi un joli compliment de la part de Seb : « T’es pas monchus*** ». Pour un Eurélien, ouah, la grande classe ;-).
Christophe Polaszek
* Tendinite du fascia lata.
*** Monchus : en patois, le gars qui n’est pas de la montagne.
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